Quelques clés et propositions pour redécouvrir un Imaginal judéo-chrétien et ouvrir à la recherche dans les pas de Marcel Jousse1.
L’approche et la lecture des textes bibliques, aujourd’hui encore, reste souvent pratiquée sur un mode purement intellectuel. De petits groupes, souvent monastiques, travaillent en associant des temps de méditations à leur pratique exégétique. La technique la plus usitée aujourd’hui, dans les cercles chrétiens, est le lectio Divina, méthode héritée de la mystique juive du PaRdéS2, qui fut interprétée et adaptée par les pères de l’Église chrétienne et divers docteurs de la foi comme saint Benoît de Nursie, le patriarche des moines d’occident. Mais cela reste très en retrait au regard de ce que proposent de trésors les pratiques mystiques des chrétiens d’orient et surtout celles de la tradition hébraïques. Ces dernières disciplines et pratiques nécessitent de connaître un peu de l’hébreu sacré pour faire sens. Leurs sources principales et anciennes se trouvent dans une littérature imposante dite de la mystique du Char céleste (מְֶרכָָּבה / La Merkabah3) et du Palais (Sifrout ha-heikhalot / ספרות ההיכלות), développée dans le sillage du livre d’Ézéchiel. Cette littérature a été interprétée par de nombreux sages, tant juifs que chrétiens et musulmans. De ce fait, les techniques et disciplines fourmillent, des plus simples aux plus complexes, proposant une rencontre puissante avec la Source de toutes vies, par l’intercession du Saint Esprit ( רוח הקודש, ruach ha-kodesh ).
Dans le sillage de divers rabbins du XXe s. comme le rabbin Aryeh Kaplan4 et les compilation de textes comme celles de Marc Alain Ouaknin, ou encore les écrits retrouvés quasi-miraculeusement du rabbin du ghetto de Varsovie : Kalonymus Schapiro5 (1889-1943), les pratiques et mystiques de la traditions juives ont été révélées à un public plus large et des textes plus anciens ont été traduits et réédités. L’enrichissement culturel que chacun peut en tirer est donc de plus en plus accessible. Mais cela n’est réellement agissant que si l’on acquiert un peu d’hébreu biblique. Sans cela, le « cherchant » passera à côté de l’essentiel qui est cet aller retour permanent de l’intellectualité à la contemplation. Un aller retour qui ensemence, l’un et l’autre, l’intellectualité ramenant à la contemplation et inversement. Sans un peu d’hébreu biblique il est impossible d’accéder à ce qui fait le « sens » profond dans la rencontre vécue en contemplation. Utiliser de l’hébreu sans le comprendre, c’est s’exposer au risque de s’enfermer dans des pratiques qui s’apparentent à de l’occultisme ou à de l’idolâtrie.
Faut-il, aussi, que l’apprentissage de l’hébreu sacré ne soit pas seulement fait sur le « mode moderne » des enseignements universitaires, comme généralement pratiqué aujourd’hui. Ces derniers utilisent des méthodes pédagogiques sur le modèle des enseignements des autres langues vernaculaires. L’hébreu sacré n’est pas d’une nation. Il vise a édifier l’Israël mystique. C’est une langue vivante dédiée à la rencontre de Dieu… On ne doit pas pour autant opposer les méthodes (pédagogie traditionnelle mystique et pédagogie moderne), elles sont nécessairement complémentaires. Les sages d’Israël, et bien des docteurs de la foi chrétienne, ont mis l’accent sur le fait que les règles linguistiques de l’hébreu biblique sont les gardiennes de la bonne compréhension du message divin6. Néanmoins, l’enseignement moderne universitaire de l’hébreu biblique, ne déploie pas chez l’enseigné, outre la riche sémiologie du vocabulaire, cette relation à Dieu qui est intrinsèque à l’hébreu sacré et que met au travail les exercices des pratiques mystiques juives traditionnelles et notamment celles du PaRdéS évoquées plus haut. Pour découvrir ces exercices, le travail des voyelles hébraïques est un merveilleux portique, une merveilleuse première approche des puissantes techniques, ouvrant en cohérence à la théophanie judéo-chrétienne et tout particulièrement à la compréhension profonde des textes sacrés fondateurs de nos civilisations.
Il est à noter que la cabale a cristallisé les principales pratiques mystiques pour en proposer des techniques synthétiques, qui relèvent de disciplines particulièrement efficaces. Nous entrerons un peu plus dans le détail de cela plus loin. De même, notons que ces techniques cabalistiques influencèrent bon nombre de mystiques chrétiens catholiques dès la renaissance7. Ceci commence à être connu et accepté au-delà de quelques cercles de spécialistes. Les anathèmes lancés, sans discernement, contre ces techniques cabalistiques et pratiques traditionnelles juives furent trop longtemps l’œuvre d’ignorants ou de pseudo-savants, vrais fanatiques, soumis à cette peur irrationnelle de voir l’œuvre chrétienne délaissée au profit du judaïsme. En cette posture, ces censeurs démontrèrent surtout leur manque de foi et leurs lacunes. Par ailleurs, on ne peut que constater l’influence des techniques et des pratiques mystiques juives traditionnelles et antiques sur les pratiques du même ordre des « pères du désert » (IIIe et IVe siècles), sur la philocalie et l’hésychasme. Pour ne citer qu’un exemple, la technique du repliement sur le nombril, enseignée notamment par Syméon le nouveau théologien (né en 949, mort le 12 mars 1022), est directement en lien avec la « posture prophétique » (Tête entre les jambes) dite du prophète Élie pratiquée par les mystiques juifs et développée dans le Talmud8. N’oublions pas, enfin, que « l’appel du désert », œuvre de retrait du monde pour s’attacher à Dieu, mouvement d’être où l’on expérimente les pratiques et techniques mystiques en singularité et en partage avec ses pairs, est un thème absolument transversal et riche de partages millénaires pour les religions monothéistes.
De la vocalisation méditative à l’interprétation des textes :
La vocalisation des voyelles de l’hébreu biblique et les exercices qui peuvent en découler, font partie des disciplines traditionnelles de la mystique juive et de la cabale qui ouvrent, potentiellement, pour les hébraïsant, à une puissante compréhension des textes. Ces exercices peuvent être pratiqué avec bénéfice par les chrétiens. Par le chant des voyelles hébraïques, le corps est mis à contribution pour une juste invitation à recevoir les dons de ce que nos traditions judéo-chrétiennes nomment le Saint Esprit, en hébreu le ru’aḥ ha-qodesh (רוח הקודש). Ceci n’est pas sans rappeler, les neuf manières de la prière par le corps de saint Dominique9. La pratique de la vocalisation et le chant des voyelles hébraïques proposent diverses approches. La plus essentielle vise à faire résonner (vibrer) les voyelles (O, A, E/È/É, I, OU) en divers points du buste et de la tête. Sous l’influence d’Abraham ben Samuel Aboulafia (né en 1240 – mort probablement peu après 1291), le chant des voyelles fut associé à divers mouvements de tête10.
Pour comprendre la valeur mystagogique, philologique et traditionnelle des 5 principales voyelles de l’hébreu sacré, il est bon de retracer quelques éléments basiques de linguistique. Pour l’hébreu biblique, avant les massorètes11, les voyelles ne s’écrivait pas. Ce sont ces derniers qui instituèrent des signes pour que la prononciation hébraïque des textes bibliques puissent rester homogène dans l’ensemble de la diaspora. Les voyelles de l’hébreu, comme pour l’ensemble des langues dites sémitiques, pour la lecture devaient s’imaginer. Un exercice de décryptage du sens de chacun des mots, que l’on déduit du sens potentiel et plus général de la phrase. Il s’agit donc de penser l’invisible, par le visible. Les voyelles des langues sémitique, et plus particulièrement pour les textes sacrés des rouleaux de la Torah exposés dans les synagogues, ont toujours eu cette fonction imaginative du sens que l’on peut dire mystagogique, en lien avec l’invisible, le divin, qui réside au-delà de sa création. Avant les massorètes, l’apprentissage des voyelles passait principalement par un enseignement oral diffusé par les mères, pour leurs enfants. Les mères, souvent par des chants et des mélopées, visant à calmer leur enfant dès la vie intra-utérine, en étaient les premières initiatrices. Ces traditions12 qui ont longtemps survécus au Maghreb occidental restent, aujourd’hui encore, mal étudiées.
Les 22 consonnes de l’hébreu relèvent du visible et du temporel. Au regard de la cosmogonie hébraïque, si elles structurent notre univers, car étant à l’origine de la création, elles ne sont véritablement investies de sens et de puissance divine que par les voyelles qui, elles, relèvent du souffle divin (Esprit Saint) et donc de l’invisible. Le souffle divin donna naissance aux 22 lettres, par lesquelles l’univers fut créé. Le souffle divin qui s’exprime par les voyelles, met en ordre les 22 consonnes qui composent la création13. Les voyelles, invisibles, ineffables, éternelles, animent le visible dans le temporel, miroir dans lequel l’être humain peut percevoir son créateur. Les voyelles dans les langues sémitiques, ne s’écrivant pas, sont ce pont sonore, vibratoire et fluidique, révélant l’immatériel dans le matériel. Dans cette vision mystique, le son des voyelles est le structurant de la matière. Les voyelles sont les outils de la théophanie du langage. Elles ont la puissance de révéler le sens profond de chaque chose, rendant perceptible la présence divine qui y réside. Selon la cabale, ce sont les voyelles qui révèlent le nom de Dieu en chaque particule de la création. Pour ne prendre qu’un exemple, le verset 115 du Bahir14 dit : « Et le cercle15, que désigne-t-il ? Ce sont les points voyelles de la Torah de Moise qui ont tous une forme circulaire ; ils remplissent, dans les consonnes, une fonction semblable à celle de l’âme dans le corps humain, qui cesse de vivre aussitôt que l’âme le quitte et qui ne peut accomplir aucun acte, grand ou petit, sans que l’âme vibre en lui. Il en est de même en ce qui concerne la voyelle. On ne peut pas prononcer une parole quelconque, grande ou petite, sans avoir recours à la voyelle. » Cette théophanie et philologie des voyelles, inscrite aux racines de la linguistique de l’hébreu sacré, a été aussi fortement développée dans les textes du Zohar. Le premier à avoir transmis, par écrit, une pratique récitative mystique s’y rattachant est le Rabbi Abraham Aboulafia (déjà évoqué plus haut), principalement dans son texte : Lumière de l’intellect16, où, aux chapitres 27, 28 et 29, il propose diverses techniques pour faire « tourner » les voyelles sur les noms divins.
La science des voyelles et leur chant sur des gammes pentatonique, est aussi un bien commun du patrimoine universel des cultures du levant. Divers études anthropologiques modernes sur les théophanies des traditions monothéistes, ont mis en évidence des principes que l’on peut reconnaître dans la pratique mystiques du « chant » des voyelles sémitiques. Les pratiques vocaliques des anciens enseignements oraux des voyelles, à mon avis, relèvent de pratiques pédagogiques et initiatiques qui augmentent et complètent celles intégrées à la célèbre nomenclature de « l’Anthropologie du Geste » édifiée par le père jésuite et anthropologue, Marcel Jousse17. La récitation des voyelles, onomatopées non verbalisée, correspondant parfaitement aux pratiques du « mimisme18 » conceptualisées par l’anthropologue. L’inventaire précis de cela reste à faire.
Par ailleurs, on peut voir dans ces pratiques pédagogiques relevant de « l’Anthropologie du Geste », augmentées de celles des mystiques juives liées aux voyelles, un ressourcement judéo-chrétien possible de l’Imago Templi, concept principalement pensé à partir des pratiques soufis du Chi’isme Iranien par Henry Corbin19. Tropisme de Corbin pour l’Islam, qui ne permet pas aux cherchants construits sur des structurants culturels judéo-chrétien, d’accéder aux pratiques de leur propre mouvement civilisationnel. L’omission, notamment, des sources cabalistiques, ou leur sous-dimensionnement, dans le concept de l’Imaginal20 dont procède l’Imago Templi d’Henri Corbin, a suscité un débat scientifique significatif sur l’exhaustivité des éléments mystiques pris en compte. Rappelons que ce brillant esprit du XXe siècle, développa le concept d’Imaginal alors que beaucoup des éléments des traditions mystiques juives étaient mal connues en Europe et que dans les milieux universitaires français, on mettait sous le boisseau bien des éléments de la mystique chrétienne. Boisseaux qui commencent à être soulevé aujourd’hui et bien des trésors sont mis à disposition du plus grand nombre21.
Hors donc, traditionnellement, pour l’hébreu biblique et comme il se pratique encore aujourd’hui avec les rouleaux de la Torah utilisés rituellement dans les synagogues, mais aussi pour la lecture de l’hébreu moderne, les voyelles doivent être « imaginées », par le lecteur pour la compréhension et à fortiori pour la prononciation à haute voix des textes. Ce qui oblige, l’hébraïsant, à une gymnastique mentale constante. Cette gymnastique est d’autant plus aisée qu’elle est apprise dans l’enfance. C’est là où, la technique du chant des voyelles qui consiste à faire résonner les voyelles dans le corps, se révèle un excellent palliatif pour aborder l’hébreu biblique à l’âge adulte.
En guise de conclusion, il me semble intéressant de s’arrêter sur un des enseignements talmudiques qui met tout particulièrement l’accent sur le chant des voyelles, comme outil d’exploration du sens profond des textes. En l’occurence en s’attachant au verset III du chapitre I du Cantique des cantiques :
Les parfums sont suaves à respirer; une huile aromatique
qui se répand, tel est ton nom.
C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment.
Dont le texte originel en hébreu est :
לְרֵיחַ שְׁמָנֶיךָ טוֹבִים, שֶׁמֶן תּוּרַק שְׁמֶךָ; עַל-כֵּן, עֲלָמוֹת אֲהֵבוּךָ
Le Talmud de Babylonne, dans son traité Avödah Zarah à XXXV/b, propose un exercice pratique d’interprétation de ce verset par le « Tserouf22 » des voyelles. En voici une traduction (les éléments entre parenthèses sont de mon fait pour faciliter la compréhension) :
Rav Nahman, fils de Rav Ḥisda, a proposé une lecture homilétique d’un verset : « Quelle est la signification de ce qui est écrit (C. des C. : 1:3) : Tes parfums sont suaves à respirer; une huile aromatique qui se répand, tel est ton nom. C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. Il s’agit d’une métaphore qui évoque un érudit de la Torah. À quoi est comparable un érudit de la Torah ? À un flacon de pélatine (huile précieuse aux propriétés sacrées). Lorsqu’il transmet ses connaissances, son parfum se diffuse ; lorsqu’il se retire du monde, son parfum ne se diffuse pas.
La Guémara (Étude parfaite) remarque : En outre, quand l’érudit de la Torah diffuse ses connaissances, les secrets qu’il ignorait lui sont révélés, il est dit : «Les jeunes filles (alamot/עֲלָמוֹת) t’aiment» (Cantique des Cantiques 1:3), et l’on peut lire, dans le verset, le mot alamot autrement (avec d’autres voyelles) et c’est alors : aloumoth (secrets). Ainsi le verset dit : Les secrets t’aiment. Et encore, on peut lire : (toi l’érudit de la Torah) l’ange de la mort t’aime. Car autrement lu (avec d’autres voyelles) le mot alamoth (Les jeunes filles), on peut lire al mavêt (עַל מָוֶת/ange de la mort23). Alors le verset dit : l’Ange de la mort t’aime. Et encore, on peut comprendre que l’érudit de la Torah hérite des deux mondes. L’un est le monde présent (temporel), et l’autre est le Monde à venir (éternel), car on peut prononcer : alamoth (Les jeunes filles) autrement (avec encore d’autres voyelles), ce qui donne olamoth (les Mondes) , on peut donc lire le verset ainsi : Les Mondes t’aiment.
Le Talmud en invitant à prononcer le mot Jeune filles (Hâlamoth / עֲלָמוֹת) avec d’autres voyelles que celles du textes massorétique, permet un approfondissement spirituel qui est objet d’un enseignement. Il est nécessaire que l’on s’y attarde pour prendre la mesure de la richesse de l’exercice du chant des voyelles qui est ici mis en action. La première déclinaison invite à lire Hâloumoth (עֲלוּמוֹת) en remplaçant le « a » de la consonne lamed (ל) par un « ou » en l’occurence écrit (וּ). On comprend donc que le savant des textes sacrés, lorsqu’il partage ses connaissances en découvre d’autres. Ceci est profondément exact, car lorsque l’on formule ce que l’on connait pour un autre que soi et que l’on fait donc l’effort de se faire comprendre de lui, on intègre ce que l’on perçoit de l’autre et inévitablement, plus que formuler, nous reformulons. Dans cet exercice de « reformulation » pour rendre les choses accessibles à l’autre, très souvent, quelque chose d’autre apparaît. Plus encore, ce qui est transmis, entendu profondément par l’autre, va produire chez ce dernier une compréhension à l’aune de sa propre singularité et donc ce qui est perçu, est encore plus que ce qui à été initialement dit. Dans cette perspective d’augmentation de compréhension des textes sacrés, par le partage, la permutation des voyelles suivantes trouve toute son explication. En augmentant notre compréhension de Dieu par le partage de la compréhension des textes sacrés, nous amplifions la présence de Dieu, nos âmes se dilatent d’immortalité. C’est ainsi que l’Ange de la mort24 nous aime, car s’amenuise en nous ce qui est mortel (l’ange de la mort = עַל מָוֶת/al môèt). Enfin dernière permutation, on met dans le mot Jeune filles soit Hâlamoth (עֲלָמוֹת), un « o » à la consonne Ayine (ע), à la place du « a » et l’on obtient : Holâmoth (עוֹלָמוֹת) ce qui permet de lire « les mondes t’aiment ». De fait, au sens biblique, en augmentant l’Immortel en notre être, notre gloire en Dieu augmente dans l’autre monde, celui de l’éternité. Par cela, nous réalisons notre mission terrestre. Réalisation de notre mission, en exerçant notre libre arbitre, ce qui est l’espoir placé en toute vie humaine terrestre par la miséricorde divine. Ainsi le monde temporel et le monde éternel nous aiment
- Marcel Jousse est un chercheur en anthropologie et en linguistique. Il est né le 28 juillet 1886 à Beaumont-sur-Sarthe1 et mort le 14 août 1961 à Fresnay-sur-Sarthe. Ordonné prêtre en 1912, il entre en 1913 dans la Compagnie de Jésus. Élève de Marcel Mauss, de Pierre Janet, de Georges Dumas, de Jean-Pierre Rousselot, il côtoya les plus grands savants de son époque qui reconnurent en lui un chercheur exceptionnellement doué. ↩︎
- Le PaRDeS ou Pardès ou Pardes (פרדס) est un acrostiche de l’exégèse biblique judaïque. Il fait référence aux quatre approches exégétiques traditionnelles du judaïsme rabbinique, les 4 niveaux d’interprétations possibles dans l’étude de la Torah. Cet acrostiche est composé des lettres initiales de ces différentes approches :
Pshat (פְּשָׁט), littérale
Remez (רֶמֶז), allégorique
Drash (דְּרַשׁ), homilétique
Sod (סוֹד), mystique
Dans la tradition de la Kabbale et du Talmud, Le PaRDS, s’apparente au mot « paradis », le « Pardès » désigne le jardin d’Eden, un lieu de la présence divine où l’étudiant de la Bible peut atteindre la béatitude parfaite et une presque complète compréhension de Dieu. ↩︎ - Les principaux textes traitant de la mystique de la Merkabah, soit la vision du trône céleste et du char divin, datent des Ve et VIe siècle . Cette littérature semble avoir ses sources dans des traditions orales hébraïques pouvant remonter à plusieurs siècles av. JC. Les textes de la littérature de la Merkabah ont été importés en Europe depuis les centres d’étude de Babylonie via la Grèce, l’Italie et l’Allemagne et ils ont été conservés dans des manuscrits datant du bas Moyen Âge. Ces textes ont fortement influencé la théologie chrétienne. La plupart portent le nom de « livre des Hekhalot » (livre des palais) et contiennent la description des palais et des épreuves que le mystique traverse dans son voyage vers le trône divin. Des mystiques chrétiens d’orient, comme saint Jean Climaque (né vers 579, mort vers 649) et d’occident comme sainte Thérèse d’Avila (née le 28 mars 1515 à Gotarrendura en Vieille-Castille et morte le 4 octobre 1582 à Alba de Tormes) y font référence. Les principaux acteurs juifs de cette littérature sont les tannaïm Yohanan ben Zakkaï, Rabbi Eliezer ben Hyrcanos, Rabbi Akiva, Ishmaël ben Elisha le grand prêtre (le grand-père du tanna Rabbi Ishmaël) et Nehuniah ben ha-Kanah (Talmud de Jérusalem Haguiga 2, Talmud de Babylone Shabbat 80b). Dans son Guide des Egarés, Maïmonide identifie le Ma’asé mercabâ avec ce qu’il tient pour la plus haute des sciences, la métaphysique, comme conduisant à la connaissance de Dieu. ↩︎
- Aryeh Kaplan, né le 23 octobre 1934 dans le Bronx à New York et mort le 28 janvier 1983 à Brooklyn dans la même ville, est un rabbin américain orthodoxe, ainsi qu’un penseur et auteur de plus de cinquante livres afférents au judaïsme. Depuis ses essais sur la Torah, le Talmud et la Kabbale jusqu’à ses publications sur la philosophie du judaïsme, il est l’une des figures importantes du mouvement baal teshuva. Sa formation scientifique lui avait valu d’être considéré comme « le jeune physicien le plus prometteur des États-Unis ». ↩︎
- Le Rabbi Kalonymus Shapiro (1889-1943), est une figure importante du hassidisme et de la résistance spirituelle au génocide perpétué par l’Allemagne Nazi. Kalonymus Shapiro fut rabbin au ghetto de Varsovie et l’on a retrouvé, conservés dans la terre, ses textes écrits pour essayer de trouver un sens face à cette inconcevable épreuve; mais aussi l’exposé de techniques de méditations et de contemplations inspirées de la cabale. Les éditions originales des textes de Rabbi Kalonymus Shapiro ont paru en hébreu, Ech Qodech (Le Feu saint) en 1960, à Bnéi Machavah Tova (Enfants d’une pensée bonne), en 1989. Plusieurs traductions ont paru en langue anglaise. Le rav Shapiro, aussi connu comme le Piaseczner Rebbe du ghetto de Varsovie, initia notamment la technique de méditation appelée Hashkata (le ‘calme’), en nous invitant à observer nos pensées, dans un processus intégrant la respiration en « trois temps ». Véritable anticipation de la Méditation Pleine Conscience, le rebbe invite à faire grandir en nous, à travers la répétition de mots choisis, les qualités que l’on souhaite incarner. Ses textes sont nourries d’implicites qui ouvrent sur diverses pratiques de prononciation des noms divins. ↩︎
- J’invite à lire sur mon site : https://lun-deux.fr/ , le texte que j’ai rédigé synthétisant cette même idée : La linguistique de l’hébreu biblique, un domaine crucial pour la bonne compréhension théologique des textes. ↩︎
- Pour baliser sur le plan historique cette affirmation, j’invite le lecteur à prendre connaissance, au moins, de deux choses. La première est l’imposant travail réalisé par le professeur Chaïm Wirszubski (1915-1977) et édité par les éditions de L’ÉCLAT, sous le titre : Pic de la Mirandole et la cabale. Ce livre contient aussi l’article du professeur Gershom Scholem (1897-1982) : Considérations sur l’histoire des début de la cabale chrétienne. La deuxième passe par l’étude de la vie d’un personnage qui est David Drach, beau-fils du Grand Rabbin de France (Emmanuel Deutz), devenu le chevalier Paul-Louis-Bernard Drach (né le 6 mars 1791 à Strasbourg et mort en janvier 1865 à Rome). Ancien rabbin français d’origine alsacienne, cabaliste, converti au catholicisme, il fut bibliothécaire de la Congrégation pour la propagation de la foi à Rome. ↩︎
- A ce sujet j’invite à lire « La tête entre les genoux ». Contribution à l’étude d’une posture méditative dans la mystique juive et islamique, du prof. Paul B. Fenton dans la Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuse, Vol.72, 1992/4 p. 413 à 426. ↩︎
- J’invite à découvrir sur ce sujet, le livre de la sœur Catherine Aubin (dominicaine) : Priez avec son corps, à la manière de saint dominique, aux éditions CERF. ↩︎
- Pratiquant depuis de nombreuses années cette technique, j’invite ceux et celles qui souhaiteraient aborder cela de manière pratique à entrer en contact avec moi (bruno.fou32@gmail.com). ↩︎
- Les massorètes (hébreu בעלי המסורה ba’alei hamassora, « maîtres de la tradition ») deviennent les transmetteurs de la Massorah, la tradition de transmission qui se veut fidèle de la forme textuelle de la Bible hébraïque, ainsi que de ses nuances de prononciations et de vocalisations, pratiquées en diverses époques. Il s’est agit, pour les massorètes, de préserver à la fois le souvenir d’anciennes prononciations et significations et d’en unifier la pratique. ↩︎
- Pour découvrir les anciennes coutumes éducatives des mères juives, j’invite à découvrir le travail de David Rouach et notamment son livre édité par Maisonneuve & Larose : ‘imma, ou rites et coutumes et croyances chez la femme juive d’Afrique du Nord. De même celui de Haim Zafrani (historien franco-marocain, chargé de recherche au CNRS, né le 10 juin 1922 à Essaouira et mort le 31 mars 2004 à Paris) : Pédagogie Juive en terre d’Islam, aux éditions Adrien Maisonneuve. ↩︎
- On trouve des récits « précisant et augmentant » le processus divin de création de l’univers tel qu’on le lit dans la bible (genèse) dans de nombreux textes et notamment dans le Talmud. On retrouve dans les textes fondamentaux de la Kabbale, ce récit où Dieu créé l’univers entier avec les lettres telles qu’elles sont présentées dans la Torah. Divers ouvrages de la tradition juive enseignent que toutes les lettres de l’alphabet hébreu furent présentées à IHWH et qu’il choisit comme point de départ, la deuxième lettre, Beith (ב)qui est la première lettre du premier mot de la Torah –Bereshit – « Au début ». De plus, les diverses combinaisons des lettres (consonne et voyelles) dans toutes leurs permutations se sont manifestées pour participer à la Création de l’univers (Zohar II, 204a). Ainsi dit le Zohar: « Lorsque le Saint, Béni soit-Il, créa le monde, il le fit par le pouvoir secret des lettres » (Zohar IV, 151b). ↩︎
- Le Sefer HaBahir (Livre de la Clarté) date de la fin du XIIe siècle de l’ère courante et réinterprète un traité plus ancien, le Sefer Yetsirah (le Livre de la Création). Bahir peut se traduire par « dans la Lumière », mais aussi par « dans la Sérénité. » Ce livre développe un système de mystique juive appuyé sur la notion rabbinique fort ancienne de Shekhina, conçue comme l’Immanence Divine de l’Ineffable et Saint Nom dont la vie intérieure s’organiserait en dix puissances créatrices, les Sefirot énumérées dans le Sefer Yetsirah. ↩︎
- Les signes massorétiques (voir note 8) qui permettent de reconnaître les « bonnes » voyelles dans les textes bibliques se présentent sous forme de point, soit des cercles. ↩︎
- Lumière de l’intellect (’Or ha-Sekhel אוֹר הַשֶּׂכֶל) ouvrage d’Abraham Aboulafia, a fait l’objet d’une magnifique et prestigieuse publication (2021) par les éditions de l’Éclat, traduit et annoté par Michaël Saban en partenariat avec l’Institut Beit Ha-Zohar, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et de la Fondation du Judaïsme Français. ↩︎
- Marcel Jousse (voir aussi la note : 1) est le créateur d’une nomenclature d’études scientifiques du champ pédagogique : l’Anthropologie du Geste. Il s’agit d’étudier le rôle du geste et du rythme, dans les processus de la connaissance, de la mémoire et de l’expression humaine. Cette science vise à opérer une synthèse entre disciplines diverses: psychologie, linguistique, ethnologie, psychiatrie, sciences religieuses et exégétiques, pédagogie profane et sacrée… Les développements de l’Anthropologie du Geste par les neuro-sciences ont remis en exergue les théories de Marcel Jousse, validant des dynamiques cognitives propre aux enseignements mystiques. ↩︎
- Au premier rang de ces lois et mécanismes, Jousse place le mimisme , qui est à l’origine de tous les processus de formation de la parole, de la pensée, de l’action logique dans les divers milieux ethniques. Le mimisme est cette force spécifique de l’Anthropos, aussi mystérieuse mais aussi irrécusable et irrépressible que la faim ou la soif, qui fait que l’enfant rejoue spontanément les sons, les mouvements, les « gestes » (ce mot recouvre, chez Jousse, tout ce qui peut être enregistré par les sens) de son univers. ↩︎
- Henry Corbin, né le 14 avril 1903 à Paris et mort le 7 octobre 1978 dans cette même ville, est un philosophe, traducteur et orientaliste français. ↩︎
- Henry Corbin, né le 14 avril 1903 à Paris et mort le 7 octobre 1978 dans cette même ville, est un philosophe, traducteur et orientaliste français. ↩︎
- Dans les milieux catholiques, la difficulté majeure vient de ce qui est appréhendé dans la pensée gnostique au regard de l’hérésiologie. Et c’est un véritable marqueur de la difficulté grandissante qui sépare le sens des mots utilisées dans la catholicité d’une part et le monde universitaire d’autre part. Le mot « gnostique » qui vient souvent qualifier ce type de pratiques, est rattaché, pour les catholiques aux dérives manichéennes et à des systèmes de pensée que l’on pourrait taxer de totalitaire. La pensée gnostique juive historique, comme appréhendée dans les milieux universitaires qui en ont fait l’étude, rejette fondamentalement les dérives manichéennes et dualistes, même si celles-ci s’inspirèrent d’éléments gnostiques. L’amalgame de la vision « hérésiologique catholique » a encore été rappelé par le Pape François en avril 2018 avec beaucoup de virulence, affirmant que « …le gnosticisme ne laisse pas de place à l’incertitude et recherche une illumination intérieure qui fera dire au gnostique : je sais, et non pas : je crois. » Mais ce qu’évoque le Pape, à juste titre sur le fond de sa pensée, est une dérive des doctrines et pratiques regroupées de manière indifférenciées par les hérésiologues sous l’étiquette « gnostiques ». Des dérives comme peuvent en connaître bien d’autres mouvements spirituels et notamment dans la catholicité elle-même. Si l’on reste vigilant à la sagesse traditionnelle Judéo-chrétienne qui invite à border les pratiques par le questionnement permanent (esprit critique et recherche des sources), la références aux pairs (dialectique) et aux pères (par les textes), l’orgueil et les visions totalitaires, ne peuvent que difficilement prendre part au cheminement. ↩︎
- Le Tserouf est une méthode interprétative qui invite à permuter, voyelles et consonnes d’un mot ou d’une phrase pour en découvrir le sens profond. Pratiquée dans la culture hébraïque certainement plusieurs siècles avant JC, cette pratique est l’objet d’une imposante littérature et principalement produite par les sages de la cabale (juifs et chrétiens) de l’époque médiévale jusqu’à aujourd’hui. ↩︎
- La traduction de « Ange de la mort » du mot hébreu al mavêt (עַל מָוֶת) est généralement évoquée dans les commentaires, littéralement l’expression pourrait se traduire par : Celui qui est sur la mort/ celui qui a la mort en charge. ↩︎
- In Jewish tradition and Talmudic teachings, the Angel of Death doesn’t like to give death, in fact it’s a terrible sadness for him… ↩︎