Pour retrouver le sens profond et authentique du mot « contemplation », souvent galvaudé et banalisé, il est nécessaire de se tourner (aussi !) vers les écrits médiévaux, riches d’un savoir millénaire. En particulier, les réflexions de Saint Thomas d’Aquin, à la fin du XIIIe siècle, nous éclairent sur la nature et les fruits de cette expérience spirituelle si particulière.
Citant Richard de Saint-Victor, Saint Thomas d’Aquin définit la contemplation comme « le pénétrant et libre regard de l’esprit sur les choses qu’il regarde« , la distinguant ainsi de la méditation, qui est « le regard de l’esprit en quête de vérité« . La contemplation n’est pas une simple réflexion intellectuelle, mais une connaissance infusée par l’Esprit-Saint, une expérience directe et intime de Dieu. C’est ce qui la rend unique et précieuse, la plaçant au-dessus de toutes les autres formes de connaissance de Dieu.
Cette union contemplative avec Dieu procure une intimité si profonde qu’elle permet à l’âme d’être appelée « amie de Dieu » et de pénétrer « les secrets de Dieu ». Saint Dominique, comme le soulignent les textes, a lui-même expérimenté cette contemplation intérieure, réservée aux amis de Dieu.
Le rôle de l’Esprit-Saint : lumière et amour
L’Esprit-Saint joue un rôle central dans la contemplation. Il est la cause immédiate de cette connaissance infuse, agissant directement sur l’âme qui devient, en quelque sorte, « possédée par Dieu ». Sans cette intervention divine, il serait impossible d’accéder à une connaissance affective et expérimentale de Dieu.
L’action de l’Esprit-Saint se manifeste de deux manières :
Une lumière est infusée dans l’intelligence, illuminant l’esprit et lui permettant de comprendre les mystères divins.
Un amour est infusé par grâce opérante dans la volonté, embrasant le cœur et attirant l’âme vers Dieu.
C’est d’abord l’amour de Dieu qui est perçu, puis par cet amour que Dieu est connu comme aimé et présent. L’amour devient ainsi un moyen de connaissance, car c’est dans l’amour que l’intelligence expérimente Dieu. Il est important de noter que cette expérience n’est pas un acte de la volonté, mais un acte de l’intelligence, éclairée par le Saint-Esprit.
Révélation des secrets de Dieu et prédication audacieuse
Outre les dons qu’elle procure, la contemplation, selon Saint Thomas, permet de connaître affectivement les secrets du cœur de Jésus. En s’appuyant sur les paroles du Christ : « Je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père » (Jn 15, 15), Saint Thomas souligne que les « amis ne forment qu’un cœur et qu’une âme » et que « Dieu nous fait participer à sa sagesse en nous révélant ses secrets ».
Plus l’homme aspire à saisir les secrets de la Sagesse divine, écrit Saint Thomas, plus il doit se rapprocher de Jésus, car ses secrets sont révélés à ceux qui sont unis à Dieu par l’amour.
C’est pourquoi il est impossible à celui qui reçoit ce don de le garder pour lui. Le saint accueille de cette contemplation le « pouvoir audacieux d’une ardente prédication ».
Contempler pour prêcher
Saint Dominique, dans sa contemplation, atteint une intimité particulière avec le Christ présent dans les Écritures. C’est dans cette source jaillissante qu’il puise la richesse et la profondeur de sa prédication. Comme le disait Grégoire le Grand : « Dans la contemplation ils puisent ce que par la suite ils répandent dans la prédication, non seulement par le moyen de la doctrine, mais même par le moyen de la contemplation on a de quoi prêcher abondamment. »
La contemplation, telle que décrite par Saint Thomas d’Aquin et illustrée par la vie de Saint Dominique, est une expérience spirituelle d’une richesse inestimable. Elle permet à l’âme d’entrer en union intime avec Dieu, de connaître ses secrets et de puiser en lui la force et la lumière pour le prêcher au monde. Loin d’être une simple pratique pieuse, la contemplation est une source de vie, de transformation et de mission pour le chrétien.