Le Baal Shem-Tov et l’Aleph-Beith

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Une anecdote de la vie du Baal Shem-Tov(1), évoquant la « centralité » de l’Aleph-Beith, ces 22 consonnes sacrées, vivifiées en leur nom par leurs voyelles…

Plein du désir de Dieu, si l’on n’a que les noms des 22 consonnes (donc vivifiées de leurs voyelles), grâce à elles on peut-être sauvé. Cette idée que l’Aleph-Beith est Longanime, chemin d’amour et de charité, et à l’origine même de la création par la puissance divine, est un thème récurrent de la mystique et spiritualité juive… On pourrait même dire fondatrice, et ceci on ne peut plus concrètement, de l‘élan civilisateur hébraïque qui perdure depuis plusieurs millénaires. Une puissance symbolique que l’on peut parfaitement voir à l’œuvre dans les récits historiques et mytho-historiques s’attachant à la résurrection d’Israël, à sa rédemption… Ce qui est aussi une nourriture spirituelle extrêmement précieuse pour les chrétiens, car elle s’inscrit aux racines de l’idée même de rédemption, qui se réalise non-pas par la honte, mais par la puissance du verbe, capacité à dire, un amour infini, inconditionnel et originel !

Voici donc un récit qui en porte la substance et met en scène l’extraordinairement et merveilleux rabbi, le Baal Shem-Tov. Cette légende suit les grandes lignes du récit qu’en fit Élie Wiesel dans son livre : « Célébration Hassidique », on trouvera divers apports que me confia un très jeune Rabbin de 72 ans à Prague. Je donnerais prochainement un autre récit évoquant la même substance, qui lui, met en scène le rabbin Juda Lœw ben Bezalel(2) dit le MaHaRaL (hébreu : מהר »ל pour Morenou HaRav Lœw, notre maître le rabbin Lœw).

Ce jour-là, plus qu’un autre, le Rabbi Israël Baal Shem-Tov, célèbre pour ses pouvoirs sur le ciel et la terre, débordant de grâces, chercha une nouvelle une fois, un peu comme le fit Abraham pour Sodome et Gomorrhe, à forcer la main du Créateur.

Brûlant d’impatience, il avait déjà essayé, à plusieurs reprises, de mettre fin aux épreuves de l’exil, aux souffrances et persécutions subies par Israël. Mais cette fois, il était sur le point de réussir. La porte s’ouvrait, le Messie allait surgir et consoler les enfants et les vieillards qui l’attendaient, qui n’attendaient que lui. La dispersion n’avait que trop duré, le peuple étincelle de Dieu trop épars, tout Israël, allait se rassembler dans la joie.

Scandalisé, fou de sa colère qu’il chérissait pourtant, Satan courut protester devant Dieu. Sans honte, il invoqua la loi — qu’il qualifiait sans rougir d’immuable. Arguant de l’histoire de la création, du bon sens et surtout de la Justice: « Mais de quoi ce rabbin se mêle-t-il ? Serait-ce à lui qu’il revient de juger le monde ? Et de savoir si l’humanité mérite déjà la délivrance? Avez-vous renoncer à votre trône ?… » Dieu fronça des sourcils… Satan continua sur le même registre : « L’avènement messianique ne peut se réaliser que lorsque certaines conditions seront réunies… Je vous le demande, le sont-elles ? » Dieu qui ne peut-être que justice et qui se souvenait aussi de la dernière visite de satan à sa cour où ce dernier vint en vain pour confondre job, s’en remis au bien-fondé de cet étrange plaidoyer.

Dieu fit proclamer que l’humanité n’était pas encore mûre pour accueillir son sauveur. Et pour avoir osé bousculer l’ordre de la création, il fit condamner Israël Baal Shem-Tov par ses anges. La pauvre Rabbi et son fidèle compagnon et scribe le rav Tzvi-Hersh Soïfer, furent tout deux transportés instantanément sur une ile au milieu des océans, lopin de sable et de forêts sauvages, inconnue de tous, lieu terrible, infesté de démons.

Le rav Tzvi-Hersh Soïfer n’arrivait pas à consoler son Maître. Accablé, abattu le
rabbi répétait en boucle : « … Impossible…J’en suis incapable…Je ne sais plus me faire obéir. » Le rav posa la main sur l’épaule de son maître : « Mais vos connaissances secrètes, vos Yikhudim, vos dons divins? Qu’en est-il advenu, Rabbi ? » « Disparus ! », dit le Maître et soupirant : « Évanouis… Tout mon savoir été effacé… Je ne me souviens de rien ! » Entendant ces paroles, le rav Tzvi-Hersh Soïfer senti son sang se figer. Il prit sa tête entre ses mains et tomba à genou en pleurant… Le Baal Shem-Tov voyant son compagnon s’effondrer, en éprouva un déchirement. Il fallait revenir à l’action ! Il fit s’assoir le scribe sur un gros rocher couvert de mousse : « … Et toi mon fidèle ami, tu as tant pris de moi, peut-être pourrais tu me redonner, ne serait-ce que quelques miettes du savoir… Une prière peut-être, un midrash… Une parabole pourrait peut-être suffire ! »
Le rab Tzvi-Hersh fondît à nouveau en larmes. Il avait tout oublié lui aussi. Tous deux étaient désormais des hommes sans mémoire.  » Tu ne te rappelles rien? s’écria le Baal-Shem-Tov presque en colère. Vraiment rien ?  » Entre deux sanglots le pauvre scribe marmonnait : « rien, non, rien, vraiment rien ! Dans ma mémoire il n’y a qu’une nuée obscure… Non je ne sais plus rien… Rien, rabbi…. Sauf… » La Baal Shem-Tov redressa son scribe prostré d’une main vigoureuse : « … sauf quoi?  »  « …L’aleph-beith… » Dit presque bêtement le rav Tzvi-Hersh Soïfer. « Alors, qu’attends-tu ? Commence ! Vite ! » Ordonna le rabbi… Le scribe, ne sachant pas désobéir à son maître, se mit à réciter péniblement, chaque lettre,. Elles lui étaient presque douloureuse. Les muscles de sa bouche refusaient de lui obéir. Au début, elles ne vinrent que difformes, étranges, à peine reconnaissables. Mais les lettres sacrées qui contiennent tous les mystères de l’univers, bientôt firent leur office de libération et résonnèrent dans l’air : « Aleph, beith, guimmel, daleth… » Le Baal Shem-Tov ivre de joie, répéta après lui :  » Aleph, beith, guimmel, daleth… » Et ils recommencèrent, encore et encore, depuis le début jusqu’à la fin… Et de la fin au début… Et du milieu vers la fin et le début… Le Baal-Shem déclamait l’alphabet avec tant de ferveur qu’il finit par tomber en extase. Lorsque le Baal-Shem était en extase, tout lui était possible, nombreux sont ceux qui en témoignent. Mais cette fois ce fut un peu différent. Il avait tellement bien placé les pas de son âme dans ceux de Dieu, que Dieu l’exauça avant même qu’il ne formula sa demande. La condamnation fut annulée, les anges révoquèrent la malédiction. Le Maitre et le scribe se retrouvèrent dans leur Yechiva, apparaissant du vide devant les élèves éberlués. Ils étaient sains et saufs, plus riches et plus nostalgiques qu’avant. Le Messie ne viendrait pas aujourd’hui, mais demain, peut-être…

1 : Rabbi Israël ben Eliezer (רבי ישראל בן אליעזר), né le 25 août 1698 et mort le 22 mai 1760 en Pologne, appelé le « Baal Shem Tov » (litt. Maître du Bon Nom) ou le Besht הבעש »ט par acronyme, est un rabbin, fondateur du hassidisme, courant mystique du judaïsme.
Le Baal Shem Tov est né seulement cinquante ans après les pogroms des cosaques de Khmelnytsky qui en 1648 ont ravagé les communautés juives d’Europe orientale. 100 000 Juifs sont massacrés dans toute l’Ukraine et certaines communautés sont entièrement anéanties2. C’est une époque qui suit l’avènement des faux messies Sabbataï Tsevi et Jacob Frank3. Pour aider son peuple à surmonter ces épreuves physiques et morales, et inspiré par les enseignements cabbalistiques du rabbin Isaac Louria, le Baal Chem Tov prône la joie populaire contre l’austérité et l’élitisme des autorités religieuses de son temps.

2 : Juda Lœw ben Bezalel (hébreu : רבי יהודה ליווא בן בצלאל Rabbi Yehouda Levaï ben Betzalel, var. Löw, Lœwe, Löwe) dit le Maharal (hébreu : מהר »ל pour Morenou HaRav Lœw, notre maître le rabbin Lœw) est un rabbin, talmudiste, mystique et philosophe du XVIe siècle, associé à la ville de Prague (1512, 1520 ou 1525 –17 septembre 1609, Prague).
Né environ vingt ans après l’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique et la découverte des Amériques, il est l’auteur d’une œuvre abondante touchant à la plupart des domaines intellectuels de la vie juive, par laquelle il effectue le passage de la pensée juive médiévale à celle de la renaissance. Il se distingue en outre par une connaissance des sciences profanes de son temps, dont l’astronomie et les mathématiques. Familier de l’empereur Rodolphe II, il fait l’objet de nombreuses histoires et légendes dont la plus connue, apparue ou popularisée au XIXe siècle, lui attribue la création du Golem.