Aveuglement productiviste à la laiterie de Bougon

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Les dirigeants de la laiterie de Bougon (79) mettent en avant leur bonne volonté. Leur mission première est d’acheter, de transporter et de transformer le lait des producteurs de ce territoire des Deux-Sèvres, légendaire pour son fromage de chèvre, mais tellement malmené par la mondialisation destructrice des économies locales. Dans les bureaux de la Coopérative, les techno-prêtres du marketing l’affirment doctement : « le marché commande nous devons nous soumettre ! » Mais, la réaction des éleveurs caprins est lourde d’émotion face à l’annonce de la disparition programmée du fromage éponyme de leur région. Chaque année, 70t de Bougon est encore fabriquée à la laiterie.  

Célèbre en Deux-Sèvres, car intimement liée à l’histoire moderne d’un certain esprit paysan, le fromage Bougon et sa fine boite de bois blanc, c’est toute une histoire. Bien que d’une qualité rare, ce fromage n’a pourtant plus que sa boite et son nom pour rappeler ce qu’il était originellement d’un point de vue gustatif. Né à l’époque glorieuse de la fin du 19e siècle, dans la mémoire collective il symbolise toujours de formidables espoirs aujourd’hui trahis. Espoirs que ressentaient les travailleurs de la terre, lorsqu’ils entendaient des mots comme progrès social et humanisme. Un quasi Eden que devaient créer sciences et technologies. Aujourd’hui, discrètement et à voie basse, même les propriétaires d’exploitations agricoles industrielles en fond l’amère constat : « l’ingénierie agronome est un piège pervers ! » Le progrès social attendu s’est mu en une équation prétendument incontournable et qui relève ni plus ni moins du chantage économique. De nombreux agriculteurs la résument ainsi : «  Si vous voulez survivre financièrement dans le système actuel vos productions doivent empoissonner la terre, torturer les animaux que vous élever et intoxiquer ceux qui les consomment… ».

En quelque sorte, le fromage « Bougon » est le fantôme local d’un monde agricole uni autour de sa noble mission, celle qui visait à nourrir sainement une population locale et régionale, voir nationale… Aujourd’hui la laiterie coopérative de Bougon, intégrée au groupe industriel agro-alimentaire Terra Lacta, ambitionne de créer des produits pour le marché international. Impuissant devant les diktats d’écrasement des prix pratiqués par la grande distribution qui sont devenus leurs quasi-uniques clients, la direction n’entrevoit qu’une solution : la radicalisation des pratiques industrielles, l’abaissement des coûts et l’augmentation du volume de production, d’où cette volonté de tenter l’aventure de l’exportation… Une politique commerciale que l’on pressent comme une planche de salut. Nul n’ose encore parler de dernière chance, mais la question de la survie de cette petite laiterie des Deux-Sèvres est dans tous les esprits. Les ambitions du groupe industriel Terra Lacta, qui implique la réorganisation de l’ensemble des laiteries qu’il contrôle, devront pourtant entrer en concurrence avec des groupes autrement surdimensionnés et mieux armé financièrement et industriellement. Dans la course aux marchés internationaux, Terre Lacta, ne peut l’ignorer, elle doit faire face à des multinationales hollandaises, Italiennes, américaines, et mêmes grecques dont les capacités de produire des fromages à bas prix avec une pseudo image de produit de terroir est déjà bien rodée.

L’idée de masquer des produits de l’industrie agroalimentaire derrière un marketing qui les vend comme des produits de terroir est une stratégie qui s’est généralisée depuis plus de 10 ans. Mais cette pratique relativement scabreuse de l’industrie agro-alimentaire pour répondre à la demande croissante de produits « sains », « naturels », et même « Bio » commencent à être violemment dénoncées. Récemment encore, un documentaire diffusé sur Canal+ (« Produit du terroir : pièges et attrapes gogos ») a alerté le public sur ces manipulations d’images. De la même manière les cultures hyper-intensives qui réussissent à avoir le « label » bio ont provoqué un profond processus de réflexion dans les milieux écologiques et « authentiquement » bio qui devrait aboutir prochainement à un durcissement des critères de sélection du label. Très simplement, la prise de conscience des consommateurs qui a conduit une part importante d’entre eux à consommer régulièrement des produits « bios » et « équitables » devrait encore s’accélérer.

Au regard de ces paramètres et l’évolution espérée et nécessaire des pratiques de consommation, on peut considérer que les choix marketing de la direction de la laiterie de Bougon sont bien plus hasardeux qu’il n’y paraît. Il est aussi nécessaire de comprendre que l’abondement à la dynamique agricole productiviste, impliquée par ces choix marketing, programme des retombées dévastatrices pour les écosystèmes, l’économie locale et les liens sociaux. Car il s’agit forcément de concentrer l’activité sur un petit nombre de laiteries, de baisser de manière drastique les coûts de production et de personnel, d’engendrer des élevages de milliers de bêtes vivant dans des conditions lamentables pour produire toujours plus de lait, mais toujours de moindre qualité gustative et nutritive si ce n’est toxique… Rappelons qu’ au cours de la réunion du 8 juin qui a suivi la manifestation des producteurs de lait, un éleveur de chèvre, la voie lourde de désillusion a lancé : « Si les gens savaient comment les fromages de la grande distribution sont vraiment fait, ils ne voudraient plus en manger ! »

Ces dommages collatéraux de la barbarie économique, une fois réintégrés dans le bilan réel de l’activité globale de l’industrie agro-alimentaire qui les provoque, donne une perspective pour le moins catastrophique de la politique marketing que souhaite développer la laiterie de Bougon. Pourtant il existe d’autres modes de marketing qui visent à recentrer les productions sur des circuits courts. Il est possible aussi d’innover sur le plan des outils et réseaux de distribution des produits… Plusieurs éleveurs de chèvres de ce territoire des Deux-Sèvres ont d’ors et déjà décidé de tourner le dos au modèle productiviste. Leur réussite économique doit être un sujet de réflexion pour tous les acteurs de la filière et tout particulièrement pour les élus locaux. Il en va de la survie de nos campagnes et des paysans. Nous n’avons pas d’autres choix que d’inventer de nouveaux modèles économiques.

Prochain article : « Une économie agricole alternative en sud Deux-Sèvres c’est possible ! »

Le deux est espoir dans la mort !

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Je suis devenu Deux, m’extirpant de l’incréé, ce « Un » éternel

Dans le lit de mes pensées, la rivière du vivant s’écoule

J’observe ce qui se manifeste et qui n’est que moment du réel

Ce qui est composé n’a de devenir que dans l’abîme et roule

Mais mon être est d’aventure une mère

Tous et, je, font force, c’est l’espoir de la grande gorge

Celle avalante de mort de tout et les Aether

En font du vivant, nourrissant la rage…

Quoi la rage ? Mais oui la rage ! De revenir en majesté…

Revenir pour s’unir, alors en conscience

Seul le sage entend ce mot des sciences

Trois fois justes pour vivre LA félicité

Le plan de sauvetage des banques espagnoles est un coup d’Etat !

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Par un coup de baguette magique de l’autocratie européenne, la dette privée des banques espagnoles vient d’être nationalisée et transférée au peuple.

«Ce ne sont pas les banques espagnoles qui ont été sauvées mais la zone euro.» Le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy n’est pas du genre à reconnaître ses torts. Même s’il critique publiquement depuis fin mai l’idée de recapitaliser au plus vite les banques espagnoles, il a finalement dû accepter ce colossal «rescate bancario» (sauvetage bancaire) de 100 milliards d’euros, l’équivalent de 10% du PIB national et de vingt fois le volume d’argent dont disposait jusqu’alors le FROB, le Fonds de garantie bancaire espagnol, par lequel transitera l’aide européenne. Objectif: rassurer les marchés quant au système financier, infesté d’actifs immobiliers toxiques, après l’annonce d’une injection de 23 milliards d’euros dans Bankia, quatrième entité nationale, particulièrement exposée à des «créances douteuses» issues de la bulle immobilière qui a explosé en 2007.

Volontiers triomphaliste – «Nous avons obtenu une ligne de crédit qui permettra d’assainir pleinement nos banques, sans contrepartie aucune» –, Mariano Rajoy n’a fait aucune mention des modalités de cette aide record, et de ce qu’elle suppose réellement pour l’économie espagnole. Or beaucoup se doutent bien que ce prêt comporte un prix à payer. «Le gouvernement veut nous faire avaler que nous avons touché le gros lot et que les Rois mages sont arrivés», a ironisé Perez Rubalcaba, le chef de l’opposition socialiste.

Le circuit que devra suivre cette aide de 100 milliards d’euros est semé d’embûches et d’ambiguïtés. L’argent, qui proviendra du Mécanisme européen de stabilité, en vigueur dès juillet, alimentera par tranches – le calendrier n’a pas été fixé – le FROB espagnol, lui-même chargé de le distribuer aux banques «malades». Il se présente sous la forme d’un prêt à 3% d’intérêt, remboursable dans un délai d’une dizaine d’années, par l’Etat espagnol. A l’heure actuelle, Madrid emprunte au taux prohibitif de 6,3%. C’est donc un ballon d’oxygène, même si son remboursement effectif suscite des doutes.

Mais le plus intolérable est le fait que la dette des banques espagnoles a été généré par un système privée dont les pratiques relèvent de l’escroquerie pure et simple. Exactement le même qui a produit la ruine des principales banques américaines et leur sauvetage illégitime par des crédit publics et l’endettement du peuple américains. Comme aux USA, les banques européennes ont le pouvoir d’organiser un holdup contre les nations. Pour que cela soit parfaitement irrévocable, du fait du mécanisme européen, l’Espagne est aujourd’hui sous le contrôle politique de la même troïka composée du Fonds monétaire international (FMI), de la Commission européenne (CE) et de la Banque centrale européenne (BCE) qui étrangle le peuple grec.

La question stratégique du renfouement des banques espagnoles tient à la répartition du pactole. Il semble que les principales banques du pays (BBVA, Santander, Caixa, soit la moitié du secteur), globalement assainies, n’en bénéficieront pas. Les entités réceptrices seront surtout les nombreuses caisses d’épargne et banques surendettées, qui avaient tout misé sur la spéculation immobilière. La clé sera le ­rapport des consultants Oliver Wyman et Roland Berger, commandité par Madrid et attendu d’ici au 21 juin. Celui-ci déterminera la liste des entités les plus fragiles et les besoins chiffrés pour chacune d’entre elles. Selon le FMI, le système financier espagnol a besoin de 40 à 60 milliards d’euros. D’autres sources indiquent que cette somme est insuffisante, au regard des quelque 300 milliards d’actifs immobiliers, forcément suspects, ayant affleuré ou en passe de l’être

Y aura-t-il des effets collatéraux ? Pour les banques certainement. Les bailleurs de fonds auront à cœur de hâter la «restructuration» du secteur, via la fusion d’entités, la mise aux enchères de certaines banques nationalisées (Banco de Valencia, Catalunya Caixa…), la fermeture d’au moins 8000 agences et le licenciement de 35 000 employés.

Quid de l’Espagnol de la rue qui depuis ce week-end se demande avec angoisse si le sauvetage bancaire aura un impact sur son portefeuille? Indirectement, il n’en sortira pas indemne: Bruxelles augmentera désormais son exigence de voir ramener le déficit public de 8,9% à 3% en 2014. Or, pour cela, le gouvernement Rajoy va devoir augmenter la TVA, accélérer la réforme des retraites, accroître les coupes budgétaires. «Dans le fond, dit l’analyste Emilio Ontiveros, cette aide est la conversion de dette privée en dette publique. Tous les Espagnols en paieront bien sûr le prix fort.»

Une farine Sans Odeur (ep:1)

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Dehors Marc Antoine retrouva le temps qu’il aimait. Pas trop chaud et sec. Sous les parasols, les transats avaient la bonne couleur, cet orange si évocateur des glaces à l’eau de son enfance. Une fois allongé, les yeux mi-clos, Marc Antoine se mit en mode attente. Le message reçu ce matin et déposé sur son oreiller lui avait ordonné de venir là et d’attendre. C’était un message rose, plié en 4, donc urgent ! Il devait donc attendre…

Il senti sur sa nuque le regard du loueur de transats. Pour répondre aux globes oculaires intrusifs, il leva le bras. Le loueur s’avança et, un poil obséquieux, se baissa : « Monsieur désire t-il quelque chose ? » Marc Antoine goûta ses plaisirs, en fit une liste rapide et se décida pour un café. Le loueur et limonadier nota la commande et s’en retourna vers ses machines, derrière le comptoir, là où il avait ses habitudes, là où trônait sa femme, si blonde que son maquillage écœuré en dégoulinait.

La commande du café ne semblait pas satisfaire le limonadier. Son yeux étaient restés plantés dans la nuque de Marc Antoine… Et maintenant la femme, si blonde, aiguisait ses pupilles pour planter elle aussi son regard dans le coup du pauvre Marc Antoine qui n’en demandait pas tant ! Heureusement, un groupe d’allemands vint s’échouer sur le bar… Il fallait les sécher, les écailler, les rouler dans la farine…

Pour rendre à nouveau présentable cette brochette de « teuton », le couple de loueurs-limonadiers en avait bien pour une demie heure au moins. La nuque de Marc Antoine allait pouvoir respirer. Une jeune femme toute léchée de bleu dans un maillot de bain une pièce s’installa à côté de lui. Ses pupilles vissées à des lunettes noires, gardaient mystérieuse leur couleur. Elle sentait le monoï. Mars Antoine fut parcouru d’un spasme de désir. Il osa un regard et constata que la belle portait elle aussi un message en sautoir. C’était la tradition. Lorsque l’on reçoit un message rose sur son oreiller, on le glisse sur sa plaque d’identification et l’on va direct au point déterminé. Donc, selon la tradition, Marc Antoine avait rendez-vous avec cette femme léchée de bleu !

Il ne fallait pas se tromper et surtout ne pas commencer les échanges de mots avec une mauvaise élocution qui ferait trébucher la conversation. La femme Léchée de bleu laissait étrangement indiffèrent le limonadier, sans doute trop occupé avec les allemands qui, déjà, se contorsionnaient de bonheur. La femme du limonadier savait y faire question écaillage ! Dans le groupe d’allemands il y avait un enfant. Son écaillage était déjà terminé et maintenant il se roulait dans la farine en riant. La farine volait alentour, une giclée nuageuse vint heurter les narines de Marc Antoine. La femme léchée de bleue éternua ! Il s’empressa de saisir l’envol de la situation :

–       A vos souhaits !

–       Merci cher Monsieur ! Mais j’en ai tellement que je ne sais plus choisir… Peut-être pourriez-vous m’aider ?

En parlant, elle s’était retournée vers Marc Antoine… et avait retiré ses lunettes de soleil ! Si son corps était léché de bleu, ses yeux crépitaient de vert.

–       Vous partageriez vos souhaits avec moi ? Mais nous ne nous connaissons à peine…

–       Trêve de plaisanteries, je suis moderne… Et même si la tradition des « papiers roses pliés en 4 » veut que l’on fasse semblant de rien jusqu’au deuxième soir du contact… Moi, je vois les choses autrement… Je n’aime pas que l’on choisisse pour moi…

 

Marc Antoine se senti totalement déstabilisé. Angoissé, il senti son crâne se fissurer et laissa échapper un pet de tête monstrueux, il fallait couvrir le bruit dégoutant de ses pensées. Il se lança dans une série de mots désespérés :

 

–       Vous avez remarquez ?… Cette farine n’a pas d’odeur ! On pourrait même croire que ce n’est qu’une vapeur… Les allemands ont de la chance d’être roulés dans une farine aussi pure… Elle est forcément bio et artisanale, une farine de meunier authentique !

–       Vous voulez me la vendre cette farine ?

–       Non ! c’est que…

–       Alors embrassez moi que je goûte votre âme !

Marc Antoine s’exécuta, bien qu’en acceptant il devenait complice d’une infraction à la tradition. Les lèvres de la femme léchée de bleue et aux yeux crépitant de vert étaient un délice. Le baiser fut long, titillant, savoureux… Marc Antoine en ressorti bariolé et méditatif. La femme léchée de bleue elle aussi était satisfaite. Mais elle était taquine jusque dans ses mots :

–       Alors cette farine ? Vous disiez ?

–       Heu ! Elle doit être bio… Et forcément artisanale !

La femme léchée de bleu se jeta sur Marc Antoine et lui arracha ses vêtements que le petit allemand attrapât au vol pour se rouler dedans. Les petits allemands aiment jouer au petit chiot.

La femme léchée de bleu pris le sexe de Marc Antoine en considération et ils firent l’amour  sauvagement, version partie de « ça va ça vient », genre « Orange Mécanique du très Stanley Lubrik… La femme léchée de bleue hurla :

–       Je m’appelle Adélaïde Blommhental ! Je suppose que vous êtes heureux de le savoir !

–       …

Marc Antoine n’avait plus de phrases en poche, d’ailleurs il n’avait plus de poches, ses vêtements servaient de « cocon » au petit allemand… Et puis sa bouche préférait le goût de la peau d’Adélaïde à celui de ses propres paroles toujours un peu trop confuses et râpeuses…

Les limonadiers étaient choqués. Ils avaient remarqué les morceaux de papier rose pliés en 4 que ces deux escogriffes portaient en sautoir sur leur collier d’identification. C’était donc un premier rendez-vous et  ce couple n’avaient pas à pratiquer un concert sexuel. Ce n’était pas respectueux de la tradition… L’indignation du couple de commerçants montait crescendo, ils commençaient à fumer. La bouche de la limonadière blonde céda brusquement dans un hurlement de sirène. Tout, tous et toutes, sur un rayon de 111 mètres, s’immobilisèrent instantanément. Les gyrophares d’alerte se mirent à tourner. Le grand ventre de l’ordinateur central commença son analyse.

Devant la furie de l’alerte de « Transgression » dont ils étaient responsables, Marc Antoine et Adelaïde mirent fin à leur concert sexuel. Adelaïde laissa échapper :

–       Ah… ce sont vraiment des culs terreux ici ! Tout ce tintouin pour une accélération de procédure…

Marc Antoine, pour les récupérer, dû arracher ses vêtements au jeune garçon qui s’était enroulé dedans. Comme en témoignait sa mâchoire solidement arrimée au tissus, l’enfant ne souhaitait pas s’en défaire. Une fois rhabillé, sous le regard désapprobateur de tout, tous et toutes, et plus particulièrement de celui des allemands qui se retrouvaient dans une position délicate car leur écaillage n’était pas terminé, Marc Antoine attrapa la main d’Adélaïde pour regagner illico un poste de contrôle.

Derrière eux le limonadier attrapa son lance-flamme et carbonisa les transats devenues impurs… La procédure, c’est la procédure !

 

Un poste de contrôle infesté de grenouilles.

L’ordinateur central avait déjà alerté tous les postes de contrôle du district. Lorsque Marc Antoine et Adelaïde se présentèrent devant le planton du post 11, l’agent souriait. En toute logique géographique, ce dernier espérait bien accueillir les fugitifs. La transgression brillamment dénoncée par hurlement s’était produite à quelques mètres de son poste. Il en avait immédiatement nourri un juste espoir !

Elle souriait donc ! Car, réglementairement, l’agent était une femme, comme tous les agents des postes de contrôle depuis une bonne 10e d’années. Les structures de répression avaient atteint un seuil de conscience maximale et depuis lors, seules les femmes étaient admises à ce type de fonction. Lorsque l’agent vit Marc Antoine et Adélaïde s’approcher, elle se mit à battre des mains comme une otarie qui reçoit du poisson pour son repas. L’agent décocha, au profit des fugitifs, la phrase légale : « Merci ! Le mal que vous faites nous fait avancé, collectivement, dans la compréhension de la justice ! » Elle leur ouvrit la porte et les invita à entrer : « Votre interrogatoire commencera dès que madame le procureur du district sera là… mais nous ferons tout pour que votre attente soit le moins pénible possible… »

Dés leur entrée, l’ensemble des agents du post de contrôle se précipitèrent pour les accueillir. Les mains jointent, elles saluaient le couple transgressif par une myriade de courbette de style japonais. Toutes gloussaient de joie et affichaient leur bonheur par des sourires à géométrie variable, longtemps répétées dans leurs cellules monastiques de formation.

Honneur de la Nation, les agents des structures de répression recevaient un enseignement spirituel de la plus haute valeur. Malheureusement elles avaient peu d’occasions de s’en servir. Les transgressions étaient rare et encore plus les alertes. Les couples comme celui que formaient les limonadiers était une espèce en voix d’extinction. Ceux qui observaient encore le dogme de la dénonciation des transgressions se sentaient esseulés dans leur enclot de dignité et de morale. De nouvelles modes étaient apparues, comme le vol, le viol, le meurtre… Mais les structures de répression ne savaient pas comment traiter ces nouveaux types de comportements. D’ailleurs la question se posait de savoir s’il s’agissait réellement d’activités criminelles. Toutes ces nouvelles activités étaient de nom masculin et difficilement appréciable sur un plan pacifique et liturgique. Les politiques au pouvoir issu du grand parti de « l’Ordre et du Damier » s’arrachaient régulièrement les cheveux en proposant des réformes. Mais rien ne semblait pouvoir enrayer le déclin des structures de répression. Depuis quelques temps, en toute sagesse, ils ignoraient la question. Quelques membres de l’opposition colorée avaient bien manifesté divers énervements constructifs, principalement sur le fait que les structures de répression coutaient cher et que leur inutilité frôlait l‘évidence… Mais l’opposition colorée ne disposait d’aucune proposition législativement enregistrable… Alors ses représentants, même les plus virulent, cessèrent de gazouiller.

Le statu quo s’était installé en parenthèse et nul ne pensait la fermer, même si le risque de courant d’air devenait menaçant.

Pour l’heure au poste de contrôle  N°11, l’effervescence atteignait un certain paroxysme. Les agents avait commencé leur danse héritée des Derviches Tourneurs et psalmodiaient leurs incantations inspirées des indiens Okhupikkoï.

Adélaïde et Marc Antoine furent installés dans des salons de patience distincts.

 

Le rouge réglementaire.

Madame la procureur taillait ses rosiers lorsque l’huissier du district vint la quérir. Elle failli en tourner de l’œil. Sa dernière affaire remontait à plus de 8 mois. Depuis lors elle s’était laissée glisser dans une sombre dépression, particulièrement caverneuse et ruisselante de mauvaises odeurs. Ses roses étaient son unique joie. La majeure partie de son temps elle le passait à amonceler morosités et soupirs et en faisait de gros sandwiches à la sauce béarnaise, qu’elle dévorait le soir en regardant la télé. Au début de sa carrière, cette magistrate respectée était une femme débordante d’ambition, qui souhaitait rivaliser avec Saint Louis et Sainte Bernadette. Jusqu’à ses 24 ans elle ne fut que peu influencée par les mystiques étrangères, son goût pour les prières et méditations  exotiques ne lui vint que tardivement au contact de divers hauts fonctionnaires, des hommes pour la plus part, qui furent ses amants et l’initièrent au tantrisme…

Madame la procureur portait le doux prénom de Myriam, sa mère lui avait donnée en honneur de la grande réformatrice des « structures de répression » : Myriam de la Gueusenaratila, ministre de l’intérieur et de la tranquillité sereine, du fameux gouvernement de la période Mauve. Un Poste occupé par cette illustre femme pendant plus de 20 ans et qu’elle quitta en poussant son dernier soupir. Ah ! Mourir assise devant son maroquin… Pour Myriam la procureur, Myriam la ministre était devenue un modèle et sa fin, un fantasme obsédant. Alors, le déclin des « transgressions » était pour Madame le procureur un véritable cancer, une lame qui s’enfonçait un peu plus chaque jour dans son âme, tuant espoirs, saines gourmandises et joie de vivre…

La procureur Myriam se ressaisi et fit une digue autour de ses émotions morbides. Elle coupa une rose et l’enveloppa dans du papier journal légèrement humidifié. Priant à haute voix, elle s’exclama : « Je l’offrirais à la « transgresseuse » que je vais devoir interroger, défendre, accuser, juger et condamner… que les esprits m’accompagnent dans mon œuvre de lumière et de paix… »

Depuis la grande réforme, les procureurs faisaient, en plus de leur propre charge, office de juge d’instruction, d’avocat, de juge d’audiences  et d’accesseurs. La justice y avait beaucoup gagné sur le plan économique !

La voiture noire blindée attendait devant la porte. Le majordome ouvrit immédiatement la lourde portière lorsque madame la procureur se présenta sur le seuil de sa demeure. L’habitacle, extrêmement confortable et tendu du cuir rouge réglementaire, était assez haut. Pour atteindre le marche pied, Myriam devait relever quelque peu sa robe. Le majordome attendait, secrètement et avec délice, cet instant où il apercevait le haut de ses chevilles gainées de bas rouge.

Le rouge était depuis quelques mois la couleur réglementaire de la fonction de procureur ! Un aménagement réglementaire de la fonction qui avait agité le parlement durant des semaines. Jusqu’alors les bas des magistrats avaient été de couleur blanche. Par décret le ministère avait autorisé, les magistrats, qui justifiaient de plus de dix ans dans la fonction, à porter des bas de couleur noire. Mais cette fantaisie autorisée a certaines attisait les jalousies de classe. Aussi, pour mettre bon ordre aux désirs d’élégance légitime on proposa le rouge et ce choix avait fini par remporter une large majorité au parlement. Le rouge était donc devenue la couleur officielle des procureurs. C’était bien ainsi ! Depuis les services techniques du ministère collait du rouge un peu partout…

Heureusement, Henri, le majordome, adorait le rouge. Surtout sur Madame la procureur Myriam. Car le majordome aimait tendrement et sensuellement Myriam. Il ne lui avait jamais avoué. Mais, chaque nuit, il s’endormait avec la photo de la magistrate sur le cœur. Une vieille photo, elle n’était plus que charpie. Nuit après nuit, l’image avait subit ses élans solitaires. En conséquence de quoi la photo n’était plus qu’une chose informe que le majordome se voyait contraint de conserver dans un petit sac en plastique… Même si l’on ne voyait plus grand chose sur le papier photo mille fois froissés et défroissés, chaque nuit il continuait de serrer contre lui, ce substrat d’image de la magistrate Myriam. Henri aimait cette femme d’un amour désespéré et total. Il est bon de noter que le Majordome se faisait appelé Henri de Montségur. Ce n’était pas son vrai nom. A l’âge de 11 ans, il avait contracté une maladie. Pour lui échapper il brouilla les cartes en changeant de nom ! La maladie, perturbée par ce brusque changement d’identité, préféra quitter son corps. Les virus ont une peur incroyable de la schizophrénie. Depuis lors le majordome portait donc le nom Prophylactique d’Henri de Montségur !

Pour sa plus grande joie, Henry servait aussi de chauffeur à la magistrate Myriam. Aussitôt la porte du véhicule délicatement fermée, il remit sa casquette, fit le tour de l’engin et s’installa au commande du mastodonte blindé. Les voitures de fonction des procureurs étaient toutes blindées. Ces machines étaient impressionnantes. Elles l’étaient volontairement. Car c’était là un autre service que rendaient les procureurs à la population. Le bon peuple avait le droit de se suicider lorsque, par hasard, il croisait un véhicule de procureur. Les véhicules étaient blindé et conçu pour le service officiellement dénommé : « suicides à la carte ». Des mâchoires rotatives entouraient l’engin. Toute personne qui se jetait sous ses roues était happée et méticuleusement broyée. Les résidus charnels des suicidés étaient rejetés à l’arrière des voitures, dans des sacs plastiques multicolores et formaient de joyeuses guirlandes sur le bord des routes. Ainsi, chacun pouvait mettre fin à sa vie efficacement et proprement quant il le souhaitait et surtout gratuitement. Il suffisait d’attendre le passage d’un procureur !

Malheureusement, cette délicate attention de « suicide à la carte », mise au point par « les structures de répression », perdait chaque jour un peu plus de son efficacité. C’était là un autre dommage collatéral de la diminution des « signalements de transgressions » dont soufrait globalement le pays ! Un problème sociétal qui avait fait débat, mais dont on ne parlait plus, car les solutions manquaient…

Le véhicule s’ébrouât et les grilles s’ouvrirent. Déjà à l’extérieur quelques candidats au suicide attendaient.  Ils étaient une dizaine. Le broyeur était en marche. A peine les grilles passées les premiers s’élancèrent. Le mot « candidat au suicide » était le mot réglementaire. Madame la procureur le trouvait inadaptée. Car ceux qui se jetaient dans les broyeurs des véhicules de fonction des « structure de répression » étaient assurés de réussir leur suicide ! De ce fait, la notion de candidat lui paraissait injustifiée, du moins dans sa dimension aléatoire. Un candidat n’est jamais certain d’être reçu dans ses prétentions. C’est bien en cela que réside la notion de candidature… Myriam se mit à sourire, sa réflexion sur le caractère inadapté du vocabulaire réglementaire frisait la subversion… Elle se sentait presque en état de transgression, madame la procureur, se sentait crapuleuse ! Elle frétillait, toute excitée de son audace.

Henri, le bon chauffeur, observait dans le rétroviseur la femme objet de tous ses fantasmes. Il nota avec intérêt le sourire béat de la procureur et en ressenti une légère érection. Pour Henri, le sourire de madame la procureur exprimait le noble contentement qu’elle ressentait à servir sa communauté. Le fameux « suicide à la carte » était régulièrement présenté dans les communiqués télévisuels du gouvernement. Il était donc évident que la belle procureur était heureuse de participer à l’effort étatique, magnifique expression de sa sublime générosité ! Aussitôt il décida de changer d’itinéraire. Pour rejoindre le poste de contrôle  N°11 plusieurs routes étaient possibles. L’une d’entre elles passait par la « Zone des décadents ». En ces lieux se concentraient tout ceux qui refusaient la prospérité. Ceux qui restaient insensible aux flux spirituels harmonisant que dispensaient les 333 églises et congrégations répertoriées du monde humaniste. Dans la « zone des décadents » végétaient des âmes sombres, incapables  de s’élever. Certaines rumeurs affirmaient que parmi les décadents, certains se coupaient les doigts pour s’empêcher définitivement d’appuyer sur les boutons de l’ascenseur social !

A l’entrée de la grande rue les couleurs changeaient. Les murs en ruine des habitations rivalisaient de gris et de noirs. Souvent des incendies, d’une violence fascinante, ravageaient les « Zones de Décadents ». En plus des diverses variantes de noirs, de gris et de bruns intenses que donnait la suie, il flottait partout une odeur exotique et pénétrante de calcination. Pour compléter ce panorama, d’une beauté sauvage et romantique, quelques bicoques consolidées avec ingéniosité, affichaient les couleurs brutales et vraies du métal et de la rouille. L’ensemble offrait un spectacle déroutant… Et, lorsque les populations se donnaient la peine de sortir de leur tanière, le paysage s’animait d’un océan monstrueux de formes humaines bariolées.

Henri se flattait d’être au nombre de cette élite d’esthètes, fin connaisseur de l’extraordinaire créativité des « zones de décadents ». Loin de mépriser ces âmes damnées, comme l’affichaient de manière convenue le plus part de ses contemporains, Henri contemplait avec délectation les compositions changeantes et formidablement tragiques, produites par ces populations farouches et nihilistes. Henri avait même osé produire quelques lignes sur la « zones de décadents » de son district. Son texte, envoyées à la revue : « www.supputation-art.com », fut à l’origine d’un buzz qui crépita sur le net pendant quelques semaines. Henri, affirmait dans son article que la nature fatale des êtres qui se réunissaient dans les « zones de décadents » était à l’origine de leur merveilleuse créativité… De ce constat il déduisait que ces êtres n’étaient pas définitivement damnés. Leur créativité, bien que totalement instinctive, révélait, à ses yeux, une ultime trace de cet esprit qui est à l’origine de l’élévation mystique sans laquelle l’humanité ne serait que moisissure sur la surface du globe ! Henri, dans un élan héroïque, affirmait dans sa prose que « Le nihilisme des indigènes des « zones de décadents », considéré comme une fatalité d’ordre génétique par l’Académie des Sciences Sociale et des Fonctions Comportementales, n’est peut-être pas aussi irrévocable qu’il y paraît. La créativité indéniable dont font preuve de nombreux décadents peut-être regardée comme la trace résiduelle d’un désir d’harmonisation qui survivait dans l’âme flétrie mais point morte de certains d’entre eux… »

On comprend aisément la polémique provoquée par de telles allégations. La tempête qui s’était levée sur les beaux esprits amateurs d’arts souffla quelques semaines puis se dissipa. Aujourd’hui, l’affaire n’était plus qu’un vague souvenir. De cette expérience Henri en était sorti grandi. Dans son petit cercle d’amis, il passait pour un héro. Henri poursuivait donc ses observations de l’architecture et des mœurs vestimentaires des populations des « zones de décadents » et préparait minutieusement quelques nouveaux écrits. Une fois par trimestre, il invitait chez lui quelques amateurs de son district pour leur projeter des images et les tenir au courant de ses dernières observations.

Pour l’heure, accroché à son volant, il était tout à son plaisir d’esthète. Le bruit du moteur surpuissant avait fait surgir les plus vifs. Comme d’habitude il s’agissait d’adolescent… Les jeunes décadents, nés de parents décadents, se savaient totalement irrécupérables. Ils se jetaient avec frénésie dans les broyeurs. Le bruit était assourdissant. Les plus gros os, comme les crânes et les bassins, en se brisant, provoquaient comme de petites déflagrations. Très vite, la masse des plus âgés s’installa sur les  bas côtés de la route. Candidat et curieux se pressaient sur le passage du véhicule et formaient une cohorte de couleurs aux variations infinies. Les coiffures des femmes étaient un sujet d’étonnement grandissant pour Henri. Jamais ces femmes ne coupaient leurs cheveux. Elles les coiffaient en d’énormes chignons aux volutes multiples et complexes…

La voiture de la procureur soumise a des soubresauts de plus en plus violent, laissait derrière elle un chapelet de sacs plastiques, lui aussi multicolores qui allaient embellir le quartier pour quelques heures mais guère plus ! Les sacs, dans leur grande majorité, disparaissaient rapidement. Nul ne savait pourquoi, mais c’était un fait, certains individus les récupéraient. Les services de voierie des districts, lors de leur nettoyage quotidien des rues, n’en retrouvaient que de rares exemplaires, oubliés dans des recoins ou ils avaient échappé aux mains anonymes qui s’en emparaient. Quelles étaient ces mains qui s’arrogeaient le droit d’accaparer les guirlandes multicolores affectueusement crachées par les véhicules officiels des « structures de répressions » ? On s’était interrogé un temps. Mais comme personne n’avait porté plainte… on se passa de réponse !

L’afflux des candidats au suicide ressemblait aux vagues d’une marée montante. La progression du véhicule en fut ralentie et madame la procureur appréciait modérément ce contretemps. D’un poing agressif elle cogna à la vitre du chauffeur et lui fit signe de prendre la première route à droite. Cette artère quittait très vite le « zone des décadents » et rejoignait la voie rapide qui conduisait au poste de contrôle N°11.

Cet ordre fut comme une gifle pour le pauvre Henri. Lui, si persuadé de comprendre sa douce aimée, s’était mépris sur les désirs de madame la procureur ! Il ravala ses larmes et obliqua à droite…

Au poste de contrôle la gène inondait les esprits. Les agents ne savaient plus s’ils devaient continuer leur danse en rallongeant un peu le rituel ou le recommencer depuis le début. L’arrivée d’un procureur pour la mise en examen des transgresseurs suivait une procédure minutée. Les transgresseurs en instance de mise en examen vivaient forcément des moments d’une extrême tension. Le Haut Observatoire de l’Ethique Institutionnelle considérait que toute attente excessive d’un transgresseur constituait un manquement grave aux valeurs fondamentales de la République Réformée et Harmonisée. La procureur Myriam avait maintenant 22 minutes de retard.

Les gradées du poste de surveillance brassaient leurs papiers et s’échangeaient des regards inquiets. Comme ils n’osaient pas parler, pour détendre l’atmosphère, ils poussaient de petits cris. Certains tentaient d’imiter le croassement des grenouilles les jours de pluie, d’autres s’essayaient à de tendres rugissements exotiques, comme ceux des chants d’amour des dauphins du Pacifique sud. Chacun éructait de son mieux. Un tel exercice, bien que rare, relevait du chapitre 11/33 des procédures internes et était décrit à l’alinéa 2211-44. Cela visait à conserver, pur de toute angoisse, l’égrégore créé par les rituels de la mise en examen.

La procédure, objet d’analyses institutionnelles constantes, prévoyait tous les cas de figures. Jamais elle n’avait été prise en défaut. Le retard potentiel d’un procureur ne faisait pas exception. Les textes estimaient qu’une fois les transgresseurs placés en salle de patience, un procureur devait prononcer la mise en examen dans les 11 minutes suivantes. Un retard était toléré, mais limité à 33 minutes, ceci par un codicille au règlement des procédures internes, au sous alinéa 2211-44-KK.

Si la procureure Myriam ne passait pas la porte du Poste de Contrôle dans les 11 minutes, l’ensemble de la procédure serait définitivement annulée et les transgresseurs reconduits, avec douceur, vers la porte de sortie.

Le véhicule blindé roulait à pleine vitesse. La procureure Myriam, consciente du préjudice qu’elle pouvait causer à la procédure par son retard, rédigeait déjà un rapport pour accabler son chauffeur.

Henri n’avait pas encore perçu l’étendu des dégâts procéduraux engendrés par son erreur d’interprétation des désirs de sa patronne adulée. Le malheureux n’avait jamais lu le chapitre 11/33 des procédures internes. Jamais il n’avait prit une autre route que celle qui les conduisait en 9 minutes au poste de contrôle du district… Entièrement à sa peine, contrit, perplexe, au bord du désespoir, il enfonçait furieusement la pédale de l’accélérateur. Le moteur hurlait de bonheur !

Devant l’entrée du « post de Contrôle » le véhicule blindé n’était pas encore totalement à l’arrêt que la procureur en ouvrit la portière. Déjouant les lois de l’inertie elle s’extirpa de l’habitacle et se rua dans l’immeuble ou l’attendaient l’ensembles des agents en plein rituel…

Resté seul dans le monstre d’acier, écoutant le cliquetis du moteur refroidissant, Henri pleurait un torrent de larmes intérieur. Son visage extérieur, lui, semblait immobile. Bientôt la tristesse s’éclipsa et la colère commença à danser dans ses veines…Une danse qui lui monta au cerveau pour exploser en fureur. Henri ouvrit la boite à gants. Il en saisît un revolver et cinq bâtons de dynamite qu’il gardait là en cas de besoin… Et en cet instant c’est bien de cela dont sa fureur et lui-même avaient besoin. D’une main experte il lia les bâtons et fixa un détonateur à l’ensemble, il relia le tout à un joli petit bouton bleu… Henri fit tout cela en artiste !

Les agents ne surent trouver les mots, et les balles crachées par le revolver terrassaient toutes celles qui essayaient. Peu d’entre elles comprirent ce qu’étaient l’étrange petit fagot que le chauffeur de Madame la procureur brandissait comme une menace en avançant. Henri pénétra dans la salle d’interrogatoire. Madame La procureur était assise face au couple de « transgresseurs ». Derrière Henri elle vit trois ou quatre cadavres d’agent qui baignaient dans leur sang. Ce spectacle lui fut pénible. Les bons fonctionnaires sont rares. Henri pressa le petit bouton bleu.

Le chemin et le pacte

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Le chemin parle d’un mouvement
de l’un à l’autre…
de l’intérieur à l’extérieur…
et aussi à l’inverse, et du ciel à la terre…
C’est là le royaume ! Dites le aux oreilles des enfants !
Retrancher c’est périr,
être complet est le sens de la quête
et elle ne s’ouvre que par amour…
Et elle ne donne de sens que par la docte ignorance

Une femme en larme…

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Une femme en larmes referme la lourde porte blindée. Méticuleusement, François Lemerle replie son matériel. C’est une affaire de plus. Ses tempes grisonnantes, ses 70 printemps, sa petite taille, son regard d’enfant espiègle, sa tenue sobre mais de qualité, mettent le client en confiance. François Lemerle fait commerce de métaux précieux. Toute la misère hautaine et vacharde du beau monde de ce sixième arrondissement de Paris, défile ici. Chez François, on vient se défaire d’un peu d’or, de la montre de son arrière grand père, d’une bague de famille, les ultimes trésors d’une vie de richesses passées, qui s’effilochent dans une outrageante pauvreté montante. Ici on parle de tout, de rien, surtout de rien, car le vide c’est bien à cela que l’on aspire. Mais comme nul n’est parfait, surtout pas le vide, dans le désert de sens des mots enfilés en tunnel, l’essentiel subsiste. On a beau se débattre et expurger la relation de toute animalité, l’âme continue de vibrer et lorsque la misère pointe le bout de son nez, elle se débat cette pauvre âme. Si fort que le corps tout entier devient un tambour. Tout cela François le renifle avec délice. Il appréhende chacun des mots, des hommes et des femmes qui viennent le voir ici, comme d’appétissants mille feuilles. En voleur, il y fourre ses doigts et titille. Ces étranges conversations se transmutent alors vite en affaires. A sa façon François a du génie. L’ombre fut son métier. Il n’a rien perdu de ses réflexes. François fut un expert apprécié des services secrets. Un homme affûté au pire, qui n’aime le meilleur que pour le détruire. Certains disent que c’est un malade. Certes, mais un malade qui sut trouver un emploi stable !

François serait en retraite de sa profession de criminel d’état, mais pas un drame, pas un geste de la vie de son quartier ne lui échappe. Une perspicacité bien trop aiguë pour qu’elle soit parfaitement honnête. Il semble aux aguets, trop impatient de connaître chaque rumeur, chaque ragot de ce bel arrondissement, comme s’il attendait une proie, maquillé, dissimulé sous les oripeaux absurdes d’un vieil usurier.

François Lemerle, du moins se fait-il appeler ainsi, aime par-dessus tout se faire haïr. C’est là l’expression de sa grande générosité. Il dit ne pas être homosexuel, mais il fait rarement l’amour aux femmes, tout juste aime t-il se faire sucer. Son esprit répond à d’étranges stimuli. Lorsque l’on évoque certaines images devant lui, par exemple celle de la graisse de porc sur un morceau de pain, ou encore celle d’une aiguille à tricoter dont on enfonce la pointe aiguisée à l’extrême dans le visage d’une victime, irrésistiblement, il salive. C’est aussi un spécialiste de la fuite, de ce genre de fuites derrière lesquelles tout s’effondre dans les flammes et le sang. François est peut-être un Ange bizarre de l’Apocalypse.

Souvent, au Saint-Claude sur le Boulevard Saint Michel, où au Dauphin dans la rue de Bucci, François évoque « la Trame ». Ce mot arrive presque toujours là où un autre pourrait venir, un mot comme responsabilité. La Trame est pour lui l’empreinte suprême de la nature. Il l’exprime en des termes où affleure le surnaturel. Il refuse à la Trame tout caractère métaphysique. Mais c’est bien en cette Trame qu’il fait reposer la responsabilité de son être et plus encore celle de ses actes. Est-ce là une croyance en un « supranaturel » qui ne dit pas son nom ? Il est vrai que Dieu est une personnalité encombrante. François parle donc de Trame, dieu n’a pas sa place dans son monde.

 

On trouve de tout dans l’étrange boutique qu’il occupe. Mais qui sait vraiment à quel point cela est vrai ? Dans un fatras de tableaux du pire style pompier, le vrai amateur d’art ne saura pas qu’à ses pieds traîne une main de Rodin, que plus loin, retourné, un Picasso attend son heure. Certains, plus instruits, savent qu’on peut trouver beaucoup en côtoyant le vieux fou : de l’or, des pierres précieuses, un tuyau pour une opération immobilière, tout, presque tout… Mais tous ignorent le vrai et terrible trésor qui gît ici, chez Bob le cinglé.

Depuis quelques semaines, un curieux petit bout de bonne femme se colle au maître des lieux. Brune aux yeux verts, grande et mince toujours habillée de noir, Axel voudrait être comédienne. Ça tombe bien ! François est un metteur en scène hors pair. Même si les spectacles qu’il réalise ne se jouent jamais que pour les acteurs eux-mêmes. Du renseignement et de la guerre secrète, François a surtout gardé le goût de la manipulation. Pas celle à la petite semaine, où très vite l’esprit un peu averti met à jour les ficelles qui animent la marionnette. Non ! Celle où le manipulateur et le manipulé s’entremêle de connivences, où bourreau et victime se confondent. Une sorte de manipulation sans but, un envoûtement délicieux et terrible.  Axel adore. Elle joue à ses propres rêves.  Il est pour elle une sorte d’Asmodè.

Sur le bouton, un doigt. La sonnette retentit dans cette espace délimité de paravents où François a installé son bureau…. Un oeil sur l’écran de contrôle, il observe l’image transmise par la caméra pointée sur l’entrée. L’homme qui se présente, presque 70 ans, le costume sombre de coupe stricte, est sans doute celui que l’apprentie comédienne voulait lui présenter. Mais Axel n’est pas là. Axel est en retard.

François ouvre la porte, très civilement les deux hommes se saluent. Malgré un certain malaise, le visiteur se tord d’un sourire. Le fusil d’assaut, négligemment posés contre un mur, donne le ton. Mais il y a autre chose, le malaise est profond. Le visiteur se présente :

– Je m’appelle Yves Marie de Saint Alveydre, je suis en relation avec Axel. C’est ma voisine. Elle pense que, peut-être, vous pourriez me trouver un appartement sur le boulevard Saint-Germain. Mais, veuillez m’excuser, mon nom vous dit-il quelque chose?

François est comme fasciné par cet homme. Son visage, sa voix, ses gestes, sont un vieil écho :

– Vous avez raison ! Je vous ai déjà rencontré, Mais où ?

Yves Marie de Saint Alveydre en convient, mais ni lui, ni François ne peuvent mettre à jour l’étrange souvenir qui les unit. Mécaniquement les deux hommes débattent de la question qui les a mis en présence, mais restent obsédés par ce sentiment de déjà vu. Le malaise est tel que François interrompt la négociation balbutiante… Il se souvient.

– Vous êtes militaire ?

– C’est exact ! J’étais commandant

François se sent soudainement ivre. – Vous avez servi en Algérie ?

– C’est exact !

– C’est vous ! C’est vous !… Vous nous avez condamnés à mort !

Yves Marie de Saint Alveydre a reçu ces mots comme une gifle. Il se lève et maintenant recule. Lui aussi se souvient. François continu de raviver leur mémoire.

– En 1962, vous faisiez partie du tribunal militaire d’exception d’Alger ! Les 9 autres et moi… vous nous avez condamnés à mort !

Le vieux militaire est livide, il continue de reculer, toujours en faisant face à celui qu’il reconnaît maintenant parfaitement. Pas à pas, il gagne la porte. François, une main dans un tiroir posée sur la crosse d’un Smith & Wesson, hésite entre le dégoût et le plaisir. La porte, sous les doigts de l’ancien commandant, cède. Dans l’entrebâillement, le visiteur disparaît…

Une spirale sombre s’abat sur le vieil usurier, un déluge de temps. Ses souvenirs défilent comme à la parade. C’était il y a plus de 33 ans… Sa mémoire pourrait s’arrêter sur quelques dizaines de tueries, pourquoi est-ce ce souvenir-là qui vient alors frapper à la porte de son esprit ?

 

Depuis plusieurs mois, ils longeaient la frontière Algéro-marocaine. Le commando n’avait plus de lieutenant et les liaisons avec l’état-major étaient impossibles, pour le simple fait qu’ils ne dépendaient d’aucun état-major. Malgré cela, le commando de chasse avait fait son travail. Grâce à eux, les troupes du M.N.A. et du F.L.N. s’entretuaient joyeusement. Cela avait coûté la vie à pas mal de civils, des troupes marocaines aussi avaient payé cher le triste privilège de les croiser. Les 11 hommes, ravitaillés en armes par des conteneurs enfouis par la Légion, en vivre et en eau « grâce » aux populations qu’ils massacraient, ne manquaient de rien… Chacune de leur tuerie, attribuée respectivement, à l’autre par les frères ennemis de l’armée de libération algérienne, furent des modèles de bestialité. Le but des stratèges du Ministère des Armées était atteint. Bien plus encore… Mais les onze n’étaient plus humains, juste de braves tueurs, extrêmement efficaces, entièrement concentrés à survivre et à tuer pour ne pas être tués. Sans aucun contact avec une quelconque autorité de tutelle, au bout de quelques semaines, Ils avaient dû abattre leur capitaine devenu fou. Un autre était mort lors de l’attaque d’un piton rocheux. De onze, ils étaient passés à neuf. Le désert, la chaleur des journées, le froid glacial des nuits, avaient eu raison de 90% de leur barda. Une petite caravane massacrée aux premières heures de leur aventure avait fourni un équipement plus adéquat. Sans leur armement et les casquettes « Bigeard », rien n’aurait pu différencier ces hommes de quelques autochtones…

Un matin, plusieurs mois après leur départ, le commando se retrouva dans une immense orangeraie. Le sucre des fruits cueillis sur l’arbre ranima en eux le goût de la civilisation. Parfois ils ne savaient plus très bien s’ils étaient en Algérie ou au Maroc. Ici, aucun doute, c’était l’Algérie. Il leur fallut 4 heures de marche pour enfin apercevoir le toit de la ferme de cette immense exploitation. François, qui généralement s’occupait de la reconnaissance, observa alors à la lunette cette grande demeure propre et nette, blanche et rose, une vraie maison toulousaine. « Des tentes ! », souffla François. Les culasses des F.M. cliquetèrent aussitôt. Les balles s’enfoncèrent devant les percuteurs. Le commando se déploya… Des tentes, cela signifiait des militaires. Qu’ils soient français, du F.L.N., ou marocains, pour le commando qui n’avait aucune existence officielle, c’était synonyme de mort : la mort du commando ou celle des militaires de l’orangeraie… Pour éviter la tuerie, il aurait suffi aux 9 hommes de faire demi-tour. Personne ne les avait vus approcher, personne ne les aurait vus repartir. Mais la jolie maison de cette ferme représentait à leurs yeux, en cet instant, tous les trésors. Aucune parole ne s’échangea, les gestes furent automatiques. L’oeil rivé dans sa lunette, François fit le décompte des soldats de l’orangeraie. Sa voix se fit presque joyeuse : « vingt-cinq, ils sont vingt-cinq, pas un de plus ! Un sergent, un lieutenant et un capitaine… Ma main à couper que ce sont des appelés … ! » Les hommes du commando le savaient. S’ils approchaient, les officiers de ce détachement voudraient alors les arrêter. Ils savaient que rien ne pouvait justifier leur présence sur cette zone. Ils seraient pris pour des déserteurs, ou pires pour des traîtres. Ceux qui les avaient placés là ne feraient rien pour les sortirs du guêpier. Si l’armée régulière leur mettait la main dessus, s’ils n’étaient pas récupérés par les services, au minimum, s’ils ne se défendaient pas, c’était la mort pour eux… Bientôt ce fut la nuit. Pour éviter l’accrochage dans l’obscurité, Ils se terrèrent à quelques centaines de mètres de la ferme. La nuit fut courte. Le vent leur porta les bruits du campement, les odeurs aussi, celle d’un feu et puis celles mêlées de la cantine et aussi celle, plus précise, du pain.

 

Au matin, François se leva le premier. Il prit sa Mat 49 et beaucoup de chargeurs. Très vite, Il repéra une sentinelle Isolée. Les autres suivaient sa progression à la jumelle. François rampait. Alors qu’il n’était plus qu’à quelques mètres d’un garde, Il se leva et interpella le soldat : « Hé ! Vous êtes de quel régiment ? » Le Soldat n’en crut pas ses yeux. Un homme presque nu, une sorte de pagne sur le dos, une mitraillette sur le ventre, de là où il n’y avait que le désert, s’était levé. Et cet homme lui parlait en français. Et il parlait encore : «  Nous sommes français, on veut juste un peu d’eau ! » En deux enjambées François rejoignit le soldat, tout propre dans son uniforme neuf. Le jeune appelé fut pris de panique, il ne pouvait plus bouger. Il hurla : « A l’aide… On est attaqués ! » A pleine main François lui saisit la gorge et lui ordonna de se taire. Le soldat n’émettait plus qu’un gargouillis. François enfonça le canon de son arme dans sa bouche béante : « Mais, tu vas te taire… Nous sommes français ! » Le soldat gémissait de douleur. La mitraillette, droite comme un sabre dans la bouche d’un fakir, s’enfonçait dans sa gorge : « Avance ! » lui demanda François sur le ton de la suggestion, mais le doigt sur la détente. Les soldats de la compagnie, qui jaillirent des tentes, crurent à une nouvelle blague sadique de leur sergent. Mais quelque chose clochait dans le spectacle. Leur camarade, la bouche écartelée par le canon, pleurait. L’homme qui le tenait si étrangement en respect, ne ressemblait à rien, si ce n’est à un bédouin, mais en plus sale. Et ça parlait français. François et son prisonnier avancèrent droit vers la maison. Tous restèrent interdits. Le bruit avait fini par alerter le capitaine. Immédiatement il donna un ordre à la chose humaine qui se dressait devant lui : « Relâchez cet homme ! Qui êtes-vous ? » François répondit calmement :

– Je fais partie d’un commando français. Nous sommes dans l’orangeraie…

– Nous allons voir ça, mais d’abord relâchez cet homme !

François s’exécuta. Des soldats attrapèrent leur camarade qui s’effondra de douleur. Alors que délicatement on retirait de la gorge du malheureux, le canon d’acier ruisselant de sang. Le capitaine, dégoûté, interpella la chose étrange.

– Vous êtes originaire de quelle région en France ?

– Je suis de Paris… du 6e arrondissement !

– Moi je suis de Saint-Germain-en-Laye. Mais je connais un peu votre quartier. Comment s’appelle cette rue qui remonte sur la Seine et qui arrive au pont des Arts  ?

– La rue Mazarine !

– Bien, bien !

Le capitaine semblait rassuré, Il commençait à croire que la chose était un soldat français. Son dégoût fut plus grand :

– Vous ne semblez pas très préoccupé par l’uniforme ?

À cet instant précis, dans le soleil, apparurent les huit autres du commando. Ils avançaient en éventail, l’arme au poing, les F.M. prêts à cracher. Le capitaine ne s’en inquiéta pas :

– Je suppose que ce sont vos camarades

François sourit. Il s’adressa à ceux qui venaient de retirer la mitraillette de la gorge de la sentinelle :

– Rendez-moi mon arme !

Les soldats s’immobilisèrent dans l’attente des ordres de leur capitaine:

– Vous n’avez pas besoin de ça pour l’instant !

François vit une autre mitraillette, même modèle, mais neuve, posée sur le perron de la jolie maison. Il fit quelques pas, s’en saisit et l’arma de l’un de ses chargeurs :

– OK, vous pouvez garder la mienne … !

Au même instant, le reste du commando fut au contact. Le capitaine se vexa et commença à comprendre que la situation lui échappait :

– Que voulez-vous soldat ?

François regarda le fringant officier :

– De l’eau, juste un peu d’eau !

Alors que le capitaine méditait cette requête, sur un cheval, une très jeune femme blonde fit son apparition. François et les hommes de son commando furent soudainement électrisés, unis, face au spectacle de cette ferme rutilante et de ses habitants, dans un même sentiment de mort. Ces soldats si bien habillés, ce capitaine si hautain, cette femme si belle sur ce cheval bien dressé, tout cela était douloureusement surréel, pour eux, qui n’étaient plus que haine, feu et soif… Un poignard s’enfonçait à jamais dans leur âme. Il leur fut clair de n’être plus de ce visqueux et fragile genre humain. Aveuglé pour toujours par l’horreur, bouillonnant de dégoût jusqu’à la perte du sens, inaccessibles à l’écume nauséabonde des sentiments commun, il ne leur restait qu’une possibilité, être supérieurs.

Le capitaine lança à François :

-Vous voyez ce tas de bois, coupez-le ! Après vous aurez de l’eau…

Le doigt de François serra la détente. La mitraillette cracha à bout portant. L’officier, fauché de bas en haut, exécuta une sorte de courbette japonaise et sa mâchoire explosa. François n’entendit pas le bruit de son arme. C’est le pilonnage des fusils-mitrailleurs qui le ramena à la réalité. En quelques secondes, soldats et ouvriers agricoles, tous furent fauchés. Les fermiers qui s’étaient approchés, un couple de cinquante ans, ne comprirent même pas ce qui se passait. La mère, avant de s’effondrer, fit un geste vers sa fille. Le cheval lui aussi s’effondra… La jeune femme, une balle dans la cuisse, gisait encore vivante. Elle hurlait. François la viola en premier, puis les huit autres. Une balle en plein coeur, beaucoup plus tard, vint mettre fin à son martyre. Encore un crime du F.L.N !